Biographie de Haridas Shastri


Un exemple classique d’une formation
traditionnelle en Védanta

Shri Haridas Shastri Maharaj (que l’on nommera selon la formule abrégée de « Maharaji » dans la suite du texte) est un des plus grands maîtres de philosophie de l’Inde. Il a maîtrisé les plus difficiles écoles de pensées, comme le yoga, le sankhya, la logique, le sanskrit… mais c’est surtout un maître de la plus noble de toutes les écoles de pensée spirituelle de l’Inde : le Védanta. Son apprentissage s’est développé sur une période de plus de 30 années de dur labeur et il a enseigné pendant plus de 40 ans. Son érudition et son mode de vie exemplaire sont tellement particuliers qu’il est intéressant d’en connaître les détails.

Il naquit vers 1913 dans un village du district de Purulia, au Bengale occidental. Sa famille était particulièrement spirituelle et descendait d’une lignée de brahmanas (prêtres, éducateurs et yogis érudits) très cultivés. Très riche, elle possédait de grandes propriétés et plusieurs autos, serviteurs et autres avoirs. Dès l’enfance, il fit preuve d’un vif esprit philosophique et son environnement était aussi favorable au développement spirituel. Il n’éprouvait ainsi aucun attrait pour le matérialisme, bien qu’entouré d’opulence.

Après l’école primaire, il déménagea à Calcutta où il vécut avec son oncle, un homme aux principes élevés et au caractère ferme. Tout en poursuivant ses études, il s’absorbait sans cesse dans la pensée de Dieu. Dès que l’occasion se présentait, il cherchait la compagnie de personnes saintes et s’efforçait d’en être l’émule. En son coeur, il nourrissait un sentiment de détachement et projetait sans cesse d’aller à Vrindavana, la terre sainte du Seigneur Krishna, un des 4 plus grands sites de pèlerinage et d’érudition de l’Inde.

Un jour, lorsqu’il n’avait que quinze ans, il acheta un billet de train pour Mathura, quittant définitivement la maison sans en informer qui que ce soit. De Mathura, il marcha jusqu’à Vrindavana en longeant la Yamuna; il arriva ainsi au temple de Govindaji, la Déité tutélaire de Vrindavana, où il passa sa première nuit.

Le lendemain, accompagné de deux sadhus (sages se vouant à la spiritualité) de l’endroit, il rendit visite à Pandita Baba Shri Rama-Krishnadasaji, surnommé Pandita Baba (sage de grande connaissance) car il était le plus grand érudit de la région. À cette époque, Pandita Baba était le plus célèbre saint de Vraja, connu sous le nom de Siddha Baba,  » celui qui a atteint la perfection « . Pandita Baba appartenait à la famille des prêtres royaux de Jaipur, au Rajasthan; il était très austère, érudit et vivait dans le plus grand dénuement. Les membres de tous les différents groupes religieux venaient le voir pour apprendre de lui les subtilités de la discipline spirituelle. Il demeurait à Dauji Garden, le site de l’actuel Vrindavana Research Institute. Toute la journée, il méditait en silence et se vouait au yoga du service désintéressé et sans motivation envers l’Absolu (bhakti yoga). Le soir venu, il brisait son vœu de silence et sortait de sa hutte pour recevoir ses visiteurs et leur enseigner.

Pandita Baba eut une discussion édifiante avec les deux sadhus, et leur jeune compagnon écoutait avec un grand intérêt. À la fin de leur entretien, quand les deux sadhus s’apprêtaient à partir, ils prièrent leur jeune ami de les suivre. Toutefois, sous le coup d’une inspiration soudaine, Pandita Baba saisit la main du jeune garçon de Calcutta et dit aux sadhus : « Vous pouvez partir, le garçon restera avec moi. » C’était certes là un divin incident dans la vie de notre jeune héros.

Le garçon vécut avec Pandita Baba, le servant sincèrement. Pandita Baba n’avait donné l’initiation qu’à une personne aussi sainte que dévote : Shri Vinoda Vihari Goswami. Pandita Baba décida que le jeune garçon devait être initié par son seul disciple qui était un grand Vaishnava et un maître accompli de la philosophie Vaishnava (Védanta personnaliste) et de la sahitya (littérature et rhétorique). Également originaire du Bengale et né d’une famille respectable de brahmanas dans la lignée de Shri Gadadhara Pandita, il était très honoré de la communauté spirituelle pour sa simplicité, son érudition et son adhésion inébranlable au code de conduite digne d’un saint.

Tout en servant son guru et Pandita Baba, Shri Maharajaji étudia les différents systèmes de philosophie de l’Inde. Auprès de son guru, Goswami Prabhuji, il étudia la philosophie Vaishnava et la sahitya. Il étudia la nyaya (logique de l’Inde) auprès de Shri Amolakarma Shastriji, un grand érudit et Vaishnava de la Nimbarka Parampara. Après la mort d’Amolakarma Shastriji, il étudia la nyaya auprès de Shri Tara Carana Nyayacarya pendant deux ans. Mais Shri Tara Carana dû retourner à sa ville natale, Mithila.

Sur l’ordre de son guru, Maharaj partit pour Bénarès y continuer ses études. Bénarès est le plus grand centre d’érudition des philosophies védiques en Inde. Là, il étudia les différentes branches de philosophie de façon très intense pendant 12 ans auprès des plus grands érudits de renommée nationale de l’époque dont Shri Vama Carana Bhattacarya, Shri Harirama Shukla et Shri Subrahmanyam Shastri. Il se mérita alors douze diplômes couvrant les six systèmes de philosophie indienne.

Ces 12 diplômes sont : Kavya-tirtha, Vyakarana-tirtha, Sankhya-tirtha, Mimamsa-tirtha, Védanta-tirtha, Vaisheshika-tirtha, Navya-Nyaya Shastri, Navya Nyayacarya, Tarka-Tirtha (Pratyaksha), Tarka-Tirtha (Anumana), Tarka-Tirtha (Shabda), et Vaishnava-Darshana-Tirtha. De plus, il reçut son diplôme en chandas (science métrique), jyotisha (astronomie/astrologie) et autres disciplines. (Une courte description de ces diplômes est donnée en Appendice 1)

Ayant acquis une érudition unique à Bénarès, la cité de l’éducation, Maharajaji revint à Vrindavana servir son guru avec un dévouement total. Après que son guru eût quitté ce monde, Maharajaji prononça un voeu de silence et passa tout son temps à pratiquer les différentes disciplines du Bhakti yoga tels que chanter le Saint Nom, se rappeler les Divertissements du Seigneur et servir les Déités. Après le coucher du soleil, il se rendait au temple de Govindaji pour un darshana du Seigneur, n’acceptant de manger qu’une fois par jour, après le dashana. Dès son retour de Vrindavana, il établit en règle générale de ne manger qu’après le darshana du soir, ne mangeant ni ne buvant d’eau toute la journée.

À son retour de Bénarès, Maharajaji délaisse l’étude et l’enseignement. Il inaugura un nouveau temple à Vrindavana, adjacent à l’endroit où il avait vécu avec son guru. Sur la suggestion de Shri Harirama Shukla, son professeur de nyaya de Bénarès qui lui rendit visite, Maharajaji se remit à enseigner. Il relâcha alors son voeu de silence, l’observant jusqu’à seize heures où il commençait d’enseigner jusqu’à vingt et une heures. Depuis, des centaines d’étudiants ont appris diverses matières grâce à son enseignement. Maharajaji a aussi traduit des livres parmi les plus rares de la Gaudiya Vaishnava Sampradaya en hindi et bengali. Il mit sur pied une imprimerie nommée Shri Gadadhara-Gaura Hari Press. Traduisant ainsi quelque 80 livres dont plusieurs accompagnés de son propre commentaire, il fut le premier à traduire et commenter en hindi le Shat-Sandarbha de Jiva Gosvami. Ce grand service qu’il rendit à la communauté hindi impressionna Shri Dalmia, un industrialiste connu, ainsi que Shri Rama-Narayana Vaidya, le fondateur de la Vaidyanath Ayurvedic Pharmacy, qui aida Maharajaji à financer l’impression de ses écrits.

Le Seigneur Caitanya disait que le Shrimad-Bhagavatam était le commentaire naturel du Brahma-Sutra, sans préciser toutefois quels versets du Shrimad-Bhagavatam correspondent à quels sutras du Brahma-Sutra. Certains acaryas, dont Jiva Gosvami, ont fait allusion à ces liens mais aucun d’eux n’a cherché à établir toutes les concordances. Dans son Védanta-darshanam, Maharajaji a indiqué quels versets du Shrimad-Bhagavatam forment le commentaire de quels aphorismes du Brahma-Sutra. Ce travail d’érudition extraordinaire a comblé le désir de Sri Caitanya Mahaprabhu.

La Nagari Pracarini Sabha de Bénarès1 lui décerna un prix pour son travail. Swami Akhandananda Saraswati, célèbre sannyasi de la Shankara Sampradaya, voulait aussi l’honorer pour son érudition et sa sainteté lors d’une assemblée d’érudits de l’Inde entière. Maharajaji, refusa toutefois d’y aller puisqu’il ne désirait ni renom ni notoriété sociale.

Particulièrement dévoué aux vaches, Maharajaji s’occupe de quelque 90 animaux à son ashrama. Les vaches font partie intégrante de la culture védique, spécialement du Vaishnava-dharma. Culture et société à Vraja gravitent autour des vaches. Vaches et brahmanas sont le pivot de la civilisation aryenne. Même Krishna apparut dans un village de pâtres et prit personnellement soin des vaches.

Aujourd’hui, Maharajaji rend service aux vaches, aux Déités, chante le Saint Nom, contemple les Divertissements du Seigneur, écrit des livres, enseigne à ses disciples et rencontre des visiteurs. Son mode de vie très exemplaire est basé sur les enseignements des six Gosvamis de Vrindavana. Son plus cher désir: que les enseignements du Védanta personnaliste soient accessibles à la société, car ils peuvent révolutionner la vie des gens.

Appendice 1

Voici une courte description de ces diplômes. Les termes tirtha et shastri sont équivalents à un diplôme, une licence. Les termes acarya et ratna sont équivalents à un diplôme discerné après la licence, comme une maîtrise. Kavya-tirtha est un diplôme en littérature. En Sanskrit, il y a deux types de kavya. Le premier expose les définitions, théorie et règles de la littérature. Ces livres créent la terminologie de la kavya. Les trois livres les plus populaires de cette catégorie s’intitulent Sahitya-darpana, Kavya-prakasha et Dhvanyaloka. La seconde catégorie de kavya consiste en la littérature même, qui peut être rédigée en prose, en poésie ou une combinaison des deux, la dernière étant appelée campu. Les ouvrages de Kalidasa, Magha et Bhairavi appartiennent à cette catégorie de kavya. Il existe deux autres divisions dans la littérature – celle qu’on écoute seulement et celle qu’on joue sur une scène.

Vyakarana-tirtha est le nom d’un diplôme en grammaire sanskrite. On compte quelque vingt systèmes de grammaire prédominants en Inde. Le plus populaire étant celui de Panini. En plus de celui-ci, Maharaja étudia le Harinamamrita Vyakaranam, un système de grammaire composé par Shri Jiva Goswami. Une caractéristique unique de ce système: tous ses aphorismes sont rédigés à l’aide des différents Noms de Krishna.

Sankhya-tirtha est le nom d’un diplôme en philosophie Sankhya de Kapila, qui implique essentiellement une étude analytique de l’esprit et de la matière. Mimamsa-tirtha est le nom d’un diplôme en doctrine Purva-mimamsa de Jaimini, qui traite principalement des procédures du karma védique et de l’interprétation correcte des textes védiques.

Védanta-tirtha est le nom d’un diplôme en philosophie des Upanishads et du Védanta Sutra. On compte cinq écoles principales de Védanta. Maharaja a étudié les commentaires sur le Védanta Sutra de toutes ces écoles. Vaisheshika-tirtha est le nom d’un diplôme en Vaisheshika, un système de logique fondé par Kanada.

Navya Nyaya-shastri et acarya sont deux diplômes en néo-logique. D’entre les six systèmes de philosophie de l’Inde, Maharaja a surtout étudié la nyaya en ses nombreuses divisions. La Nyaya représente un vaste domaine, la plus prolifique de toutes les écoles et le système le plus complexe. L’étude de la nyaya aide à développer un mode de pensée systématique et profond, étant ainsi hautement bénéfique dans la compréhension de toutes les autres écoles de philosophie. Nyaya est considérée comme un flambeau qui illumine les secrets voilés de la philosophie. L’adage veut que la nyaya soit une aide à la compréhension de tout livre. Nyaya aide spécialement à comprendre les commentaires sur les écrits philosophiques des acaryas, ou grands maîtres.

Tarka-Tirtha (Pratyaksha, Anumana et Shabda) sont trois diplômes en diverses autres formes de logique. Finalement, Vaishnava-darshana-tirtha est un diplôme en divers ouvrages de l’école philosophique Vaishnava. Maharaja étudia la littérature Gaudiya Vaishnava auprès de son propre guru, littérature qui inclut le Shat Sandarbha (l’oeuvre maîtresse en six volumes de Jiva Goswami présentant la position ontologique de Shri Krishna et la dévotion à Sa Personne, un exposé de la philosophie Bhagavat), le Bhakti-rasamrita-sindhu et l’Ujjvala Nilamani (deux livres de Rupa Goswami traitant de façon élaborée de la théorie du rasa dans le cadre de la dévotion à Krishna), le Govinda-bhashya (commentaire de Baladeva Vidyabhushana sur le Védanta-sutra, établissant la doctrine védantiste théiste de l’acintya-bhedabheda de Caitanya Mahaprabhu), les commentaires sur le Shrimad-Bhagavatam de Shridhara Swami, Shri Jiva Goswami et Shri Vishvanatha Cakravarti Thakur, les commentaires sur la Bhagavad-Gita de Shridhara Swami, Vishvanatha Cakravarti Thakur et Baladeva Vidyabhushana, l’Alankara Kaustubha (traité de Kavi Karnapura sur la rhétorique), le Brihad-Bhagavatamrita (exposé élaboré de Sanatana Goswami sur le message ésotérique du Bhagavata), le Shri Hari-bhakti-vilasa (compilation de Gopal Bhatta Goswami sur les principes de la Smriti Vaishnava, accompagnée d’un commentaire élaboré de Sanatana Gosvami), le Laghu-Bhagavatamrta (exposé élaboré de Rupa Goswami sur les diverses catégories d’incarnations du Seigneur d’après le Srimad-Bhagavatam), et plusieurs autres écrits des Goswamis.

Jyotisha est le nom d’un diplôme en astrologie et astronomie védiques. Maharaja reçut une formation poussée dans ces domaines, étudiant les ganita et phalita du jyotisha de l’Inde. Chaque année, il prépare le calendrier lunaire des Vaishnavas, détaillant les différents festivals et jours de jeûne. Un système très complexe à cause de la difficulté à déterminer la date exacte des phases lunaires et qui requiert également une compréhension approfondie du Hari-bhakti-vilasa, un écrit sur la Smriti Vaishnava par Gopal Bhatta Goswami. À l’heure actuelle, rares sont les saints ou érudits ainsi qualifiés en Inde.

Appendice 2

Ce qui suit est une brève description des principaux écrits publiés par Shastri Maharaja :

Shat Sandarbha: Une collection de six livres – Tattva, Bhagavat, Paramatma, Krishna, Bhakti et Priti. Oeuvre maîtresse de Jiva Goswami qui trace systématiquement la philosophie et théologie de l’école de Chaitanya appelée achintya-bhedabheda.

Sarva-samvadini: Commentaire simultané sur les quatre premiers livres des Shat Sandarbhas. Peut être vu comme un complément des Sandarbhas. Ce livre démontre la supériorité du concept de l’achintya-bhedabheda sur les autres philosophies védantistes, personnelles et impersonelles.

Hari-bhakti-vilasa: Smriti de l’école de Chaitanya, contenant vingt chapitres. Donne les détails des pratiques religieuses à suivre par les adhérents de cette école. Les concepts de base de cette philosophie sont aussi inclus dans ce livre.

Harinamamrita Vyakaranam: Livre présentant les règles de grammaire sanskrite sous forme de sutras. Improvisation sur le système de Panini, aussi concis que difficile à comprendre. Une particularité de cette grammaire est que les sutras furent composés à l’aide des différents Noms de Krishna, fait évident dans le nom même de cette grammaire. Autre avantage de cette grammaire : pas besoin de connaître les sutras des chapitres ultérieurs pour comprendre les mots ou règles décrits dans les cinq premiers chapitres, condition courante dans le système de Panini.

Alankara Kaustubha: Livre détaillant les règles de la poésie et de l’esthétique, et dont tous les exemples sont reliés aux Divertissements de Radha et Krishna.

Vedanata Darshanam: Livre reliant chaque sutra du Védanta à un verset du Shrimad-Bhagavata Purana. Chaitanya proclama que le Shrimad-Bhagavatam est le commentaire naturel sur le Védanta Sutra. On compte quelque 650 sutras et quelque 14,000 versets. Quel verset du Shrimad-Bhagavatam se rapporte à quel sutra ne fut pas indiqué par le Seigneur Chaitanya. Maharaja s’est donné la peine de combler cette lacune.

Govinda Lilamritam: L’école de Chaitanya insiste sur le souvenir des Divertissements de Krishna à Vraja comme moyen d’atteindre la perfection dans la dévotion. Ce livre fut spécifiquement écrit pour décrire ces Divertissements avec force détails. Les Divertissements de chaque jour sont divisés en huit parties populairement appelés ashta-kaliya lila.

Shruti-stuti-vyakhya: Commentaire sur le 87ème chapitre du Dixième Chant du Shrimad-Bhagavatam. Les principales conclusions philosophiques de l’École sont incluses dans ces prières des Vedas personifiés.

Védanta-Kaustubha Prabha: Commentaire de Keshava Kashmiri sur le Védanta Sutra dans la lignée de Nimbarkacharya. 1 La Nagari Pracarini Sabha est la plus ancienne organisation hindi qui décerne plusieurs prix et médailles, nommés d’après d’éminentes personnalités publiques et littéraires, pour des oeuvres littéraires exceptionnelles.